lundi 12 mars 2018

Le regard de l'huître.

   Hier soir, rentrant d'une promenade iodée en compagnie de ma compagne, l'envie me prit de manger des huîtres, étant à Cancale, le hasard était heureux!
   Pour le malheur de mon cœur, mon aimée ne pouvait rester, provoquant le bonheur de mon estomac, contraint d'avaler deux douzaines de "cancales"!
   Mais, pour se laisser déguster, la belle a ses exigences, dont l'ouverture n'est pas la moindre. Je tentais, par un discours approprié, d'éveiller leur curiosité afin que, tendant l'oreille, elles s'entrouvrent, peine perdue, les huîtres sont sourdes...aux beaux discours, en tout cas!
   D'ailleurs j'en eus la preuve scientifique en tentant de les faire bailler d'ennui, mais elles ont supporté une page de Proust sans même le moindre frémissement, c'est bien la preuve de leur surdité!
   Même les discours de notre omniscient saint Emmanuel les ont laissées muettes, mais peut-être était-ce de stupeur!
   Bref, il me fallait trouver un autre stratagème, je me mettais torse-nu, ajoutais une poignée de goëmon sur mes cheveux et gesticulais en tous sens muni d'une fourche, tel un Poséidon possédé. Mais, là encore, à part la preuve que Poséidon n'a jamais existé, les huîtres s'en souviendraient, je n'ai rien obtenu.
   Alors, à court d'idées, dans une ultime tentative, j'en ouvrais une avec un couteau, quel déchirement...pour ma peau! C'est en l'observant de plus près, recroquevillée sous mon regard affamé que l'idée me vint.
   Je la sortais délicatement de sa coquille et lui fit entamer une danse des plus sensuelles devant ses congénères. Là, quelle ne fut pas ma surprise de voir s'entrouvrir certaines coquilles et apparaître des yeux!
   Je croisais alors le regard de l'huître, d'un vide si incommensurable qu'il en donne le vertige, à moins que ce ne soit la faim! Je les dévorais sans autre scrupule, un tel regard n'inspire pas la mansuétude!
   Depuis cet instant étonnant, j'ai un drôle de sentiment, j'ai l'impression d'être devenu obsédé par le regard de l'huître, je le croise à longueur de temps, partout, ce n'est malheureusement que celui de beaucoup de nos contemporains!
   Ça commence par le regard, puis on rentre dans sa coquille attendant, passivement, d'être dévoré!

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