mardi 24 septembre 2019

Bozo.

   Un hommage tardif à l'un de ces professeurs qui comptent pour ceux qui aiment apprendre de personnes qui aiment enseigner. Ce surnom donné à Monsieur Alain Le Corvaisier, professeur de techniques horticoles en l'école de Saint-Ilan, était dû au fait qu'il terrorisait les élèves du BEP au BTS, toujours renfrogné qu'il était.
   J'ai eu, en deuxième année, la chance de rencontrer cet homme incroyable autrement que comme un professeur, par le truchement d'heures de colle les samedis très nombreux que j'avais fini par provoquer volontairement. La raison en est simple, le samedi matin était consacré aux devoirs de la punition, cependant que mon bourreau préféré s'affairait à réduire les espoirs de réussite de nombreux élèves à néant en corrigeant des copies où avoir un douze sur vingt était un exploit.
   Ce sont les après-midis qui m'ont permi d'apprécier la grandeur de cet homme hors du commun, nous partions dans les cultures et les parcs paysagés où il expérimentait divers détails qui pourraient sembler vains à un inculte de la culture horticole. C'était moi, cet inculte, venant d'une famille d'horticulteurs pourtant, mais je n'avais jamais vu cette façon d'agir.
   Nous commencions notre déambulation par les mesures, toutes les semaines, depuis des années, il vérifiait de combien les plantes s'étaient développées et notait tout sur des cahiers qui formaient une pile incroyable entassés qu'ils étaient dans un coin de son bureau. Ainsi, nous poursuivions ensemble les recherches de cet homme qui, tout à coup, passait de monstre de terreur à un scientifique des plus respectables.
   Ensuite, nous passions aux maladies des plantes, il isolait les parties touchées et soit traitait le problème par les produits phytosanitaires en notant combien de temps prenait la guérison, soit isolait la partie malade et attendait de voir si la plante avait une réaction d'autodéfense! Le tout,  bien évidemment, scrupuleusement noté sur ces fabuleux cahiers pour lesquels j'aurais été prêt à tous les sacrifices!
   C'est ainsi que j'ai découvert la vraie nature de cet homme d'exception, au fil de ces samedis qui, pour lors, n'étaient plus une punition mais un privilège. Au fil du temps s'est instaurée une relation emprunte de respect entre nous, je lui dévoilais un peu des raisons qui me poussaient à ne pas réussir mes études malgré des capacités peu communes, il essayait de me faire comprendre que je ne punissais que moi-même, mais j'étais encore trop con pour accepter de me remettre en question.
   Puis, ce fut à son tour d'exprimer ses griefs contre la vie qu'il menait, un jour où je l'interrogeais sur les raisons de sa présence tous les samedis. Tout à coup, il se mit à me dévoiler ses problèmes familiaux qui le poussaient à être le moins présent possible, fuyant un peu sa réalité lui aussi, deux enfants, une fille prostituée et un fils drogué, avec une épouse qui prenait leur parti.
   Ce fut ainsi que je compris le pourquoi de son autoritarisme excessif en cours et que je me retrouvais être son défenseur auprès des autres élèves. Ce revirement d'un des élèves les plus indisciplinés aurait dû les interpeler, mais ce ne fut jamais le cas à mon grand désarroi. Il conserva son surnom de Bozo, sauf pour moi, il était devenu Monsieur, voire Messire Le Corvaisier et, je peux l'avouer, l'immense respect pour cet homme ne m'a plus jamais quitté.
   Voilà, mon plus grand regret est de n'avoir pas su écrire cet hommage avant qu'il ne soit que posthume, mais je n'avais pas encore assez grandi!

mardi 17 septembre 2019

Une estompe japonaise.

   Ce titre n'aura peut-être rien à voir avec le contenu de ce texte, il n'est qu'un clin d'œil à une personne qui me tient particulièrement au cœur. En fait c'est l'estompe plus que la Japonaise qui me pousse vers le clavier, je ne peux esquiver le sujet, il y a comme un syndrome de la disparition au moment de l'aboutissement chez moi. J'ai toujours refusé d'accepter les honneurs, malgré quelques exploits, je me suis toujours trouvé un prétexte pour fuir avant la fin.
   Même mes enfants n'auront pu m'empêcher de m'envoler vers de nouvelles aventures, dans un besoin permanent de ne pas rester, de ne pas assister au passage à l'âge adulte de ma progéniture, de ne pas construire un couple qui dure. Les deux seules raisons de me stabiliser étaient Chloë et Tristan, pour compenser le quasi abandon de ma fille aînée Louise, j'aurai tenu dix-neuf ans en couple et quinze ans dans la même profession.
   Après un tel exploit, je ne pouvais que quitter ce monde pour de nouvelles aventures et ce fut chose faite très rapidement, comme toujours agir vite pour être sûr de ne pas renoncer sans doute. J'ai reconstruit ma vie assez vite pour mieux la quitter au bout de cinq ans à peine, comme si je ne voulais que permettre à mon Amoureuse de s'installer en Bretagne et partir une fois les choses en place. Là encore, l'idée de m'installer dans une vie bourgeoise au centre d'une petite ville comme Dinan m'a fait fuir, il m'est impossible d'imaginer rester au même endroit, même avec des barreaux dorés, une prison reste une prison.
   Alors je m'estompe, mais sans m'effacer, je repars sur les chemins aventureux d'une vie à découvrir puisque nouvelle. Je ne veux plus prendre le risque de m'installer afin de n'avoir pas à quitter, pour ne plus partir il suffit de ne jamais rester! Je veux rester en mouvement permanent afin de voir jusqu'où peuvent me mener mes pas, découvrir de nouveaux horizons et de nouvelles amitiés, une nouveauté à chacun de mes pas voilà qui devrait me satisfaire et m'éviter l'ennui.
   Je sais que cela peut ressembler à une fuite, mais ce n'est que l'aboutissement d'une vie faite de mouvements, trois femmes ont partagé ma vie, seize professions pratiquées et des animations nombreuses et variées auxquelles je me suis donné plus que de raison. Je ne m'estomperai plus, je resterai simplement en mouvement...perpétuel!
   Il me reste cependant un dernier écueil, mon dos me refuse le droit de partir durablement avec un sac à porter, alors je vais demander à la médecine de faire un exploit en me rendant toute ma mobilité. En attendant je marche, toujours plus, afin de préparer le reste de mon corps car les métiers physiques n'ont rien à voir avec du sport. Bon, j'en ai assez écrit pour aujourd'hui alors je vais m'estomper comme je sais si bien le faire!
 

lundi 16 septembre 2019

Parole, parole!

  Nous connaissons tous ces moments d'égarement de la parole, qu'ils soient dus à une fatigue passagère ou à des soucis très prenants, ils restent un encombrant héritage. Que ce soit un mot de trop, une phrase qui, pour innocente qu'elle paraissait, devient tout à coup une arme contre celui qui l'a émise, cela reste une nuisance qu'il est parfois difficile d'effacer des mémoires.
  Chaque parole posée se devrait d'être pesée, soupesée et réfléchie, mais cela n'est pas toujours possible ou aisé, certains mots n'ont pas le même sens selon l'interlocuteur et deviennent les armes redoutables de l'incompréhension mutuelle de deux personnes, voire d'un auditoire! Notre belle langue permet les quiproquos par la richesse de son vocabulaire et la diversité de ses expressions, permettant à une seule locution d'avoir plusieurs sens, multipliant les risques de se "tromper". Un simple mot est plus souvent mal interprété que mal dit.par ceux à qui, pourtant, il s'adresse.
   Il existe de nombreux facteurs qui peuvent entraîner l'incompréhension, à commencer par l'éducation, selon le niveau d'études certains mots ne sont jamais utilisés ou ont perdu leur sens premier, une simple conversation peut être ainsi perçue comme une agression ou une insulte, il convient de savoir adapter son discours à la personne à qui on prétend le tenir. L'un des meilleurs exemple est le mot "vulgarisation", sensé mettre au niveau des gens simples un discours ou une explication technique, mais il peut être compris au sens de "rendre vulgaire" et, par le fait, être pressenti comme insultant.                                                                                                                           Et que dire du maître mot de l'incompréhension, "le quiproquo", souvent utilisé comme ressort comique au théâtre ou au cinéma, dans la vie courante il peut mener au pugilat. Là, deux interlocuteurs parlent de la même façon de deux sujets différents celui qui parle ne se rend pas compte que la personne en face de lui ne l'entend pas de cette oreille, source de tous les malentendus qui ne manqueront pas de suivre, bien entendu, à bon entendeur, salut!
  Un autre facteur de l'incompréhension entre deux personnes est la fatigue, qu'elle soit physique ou morale, elle entraîne souvent une nervosité qui fait que chaque interlocuteur est sur la défensive et considère que l'autre ne parle que pour lui nuire. Là, chaque mot est interprété de travers et entraîne des disputes interminables, puisque verbales, entre deux personnes qui refusent de s'entendre, donc de s'écouter. C'est le fameux "dialogue de sourds", il n'y a plus alors qu'à passer au langage des signes, les prises au col servant de phrases, les gifles en étant les ponctuations!
  Enfin, il existe un moyen de ne jamais commettre d'erreur, se taire! C'est d'ailleurs ce que je vais faire dès que vous aurez éteint votre ordinateur pour aller dialoguer avec des proches de vos incompréhensions mutuelles.  



mercredi 4 septembre 2019

Vagabondages.

   Comme tous les jours ou presque, je suis parti marcher sans autre but que de marcher toujours plus longtemps, plus loin jusqu'à n'en plus pouvoir revenir mais ce n'est pas pour tout de suite! Pour l'instant mes marches ressemblent plus à des promenades qu'à des randonnées, ce qui me permet d'observer, pour le simple plaisir que cela peut procurer.
   Une fois n'est pas coutume, en lieu et place des plantes et des animaux je décidais d'observer les humains ou considérés comme tels pour certains. La rentrée étant passée par là, ce n'est plus la même race d'humains qui errent sur les côtes malouines, il n'y a plus d'enfants, ni même de famille d'ailleurs, c'est devenu le domaine des célibataires en vacances. C'est sans doute ce qui a motivé l'écriture de ce texte, je me suis donc assis sur un rocher un peu isolé afin de me faire plus discret, un homme grand, bronzé et aux yeux bleus attire les regards dans ces zones de chasse!
   Je me retrouvais en léger surplomb d'une plage sous un soleil radieux, comme souvent en Bretagne, le temps idéal pour se lancer à la recherche du bronzage perdu, qui n'a visiblement pas même été trouvé par certains, tout le monde ne peut être Breton. Nous sommes en septembre, un mois trompeur en Bretagne, le soleil y tape toujours avec la même intensité mais ces touristes n'ont pas l'air de s'en préoccuper, tant qu'ils ne sont pas passés au rouge!
   Mais le phénomène le plus étrange de cet étalage de viande est la solitude de la plupart des protagonistes, ils mettent une certaine distance entre eux, comme pour mieux s'éviter, je comprends pourquoi ils sont toujours célibataires. Quelques uns d'entre eux profitent de la marée d'équinoxe pour aller pêcher à pied, errant le long du rivage ils n'ont pas même de besace où déposer leurs quelques trouvailles, mais peu importe semble-t-il, ils ne font que s'occuper.
   Il y a aussi ceux qui lisent, plongés dans leurs livres mais cela ne semble être que pour se donner une raison d'être là, je me sens toutefois plus proche d'eux que de ces obsédés de l'écran de téléphone, tous âges confondus ils font preuve de la même concentration.
   Un détail se fit alors jour, ce ne sont ni des livres, ni des téléphones qui importent, ils ne sont là que pour faire écran au désir de certains de sympathiser. Il semble d'ailleurs que ce soit une nouvelle façon de ne pas communiquer, les personnes seules qu'il m'arrive de croiser sur les chemins balisés ont souvent un coup de fil à passer juste à ce moment, particulièrement les femmes, juste pour ne pas se dire bonjour. Cela tourne à la peur des rencontres, adresser la parole à un inconnu est devenu incongru, sauf pour les femmes âgées qui ne craignent plus rien d'un inconnu, à leurs visibles désarroi.
   Bon, je ne supporte pas l'immobilité alors j'ai repris le cours de mon cheminement, croisant des promeneurs de chiens, qui eux aussi ne saluent pas, occupés qu'ils sont à empêcher leurs animaux de venir me saluer, les chiens sont plus polis que leurs maîtres! Les seuls personnes qui répondent à mon salut sont ces skieurs sans skis, marchant avec des cannes, ils ne peuvent se donner l'air préoccupé, leurs mains étant occupées alors ils marmonnent un bonjour contraint, mais c'est mieux que rien.
   Le constat est terrible, si même une pipelette comme moi n'arrive plus à trouver une simple oreille attentive il est grand temps de s'en inquiéter, le repli sur soi-même n'est jamais de bon augure. Voilà, le titre de ce texte m'a été inspiré par toutes ces personnes qui, loin de répondre à mon simple salut, me jaugent du regard comme le plus vil des vagabonds. Je devrais trouver cela flatteur puisque les seules personnes qui communiquent encore sont ces fameux vagabonds, même s'ils ont un intérêt à m'adresser la parole, au moins sont-ils polis et aimables!