mercredi 23 octobre 2019

La sagesse du singe.

   C'est l'histoire d'un homme qui adorait grimper dans les arbres, que ce soit pour leur donner une forme humaine par l'élagage, soit pour s'y amuser en compagnie d'autres apprentis singes. Mais sa préférence allait à la grimpette sauvage, avec pour seule sécurité son sens de l'équilibre et une totale confiance faite à son hôte pour ne pas le laisser tomber. Pour s'assurer d'un risque amoindri, il suffit de communiquer avec l'arbre convoité, de bien entendre la forme et la force de ses branches afin de savoir où l'on met les pieds et l'escalade peut commencer sereinement.
   Tout allait pour le mieux, la nature offrant à l'homme une vision élargie depuis le haut de la canopée, son regard portait plus loin, toujours tourné vers des horizons différents qui, tous, attisaient plus encore que son regard, son envie d'ailleurs, voire d'envol au vu du lieu. Il faut être parfaitement équilibré et faire la preuve d'une grande stabilité pour jouer au déséquilibré instable du haut de ces arbres, dont les branches pourtant ressemblent à des bras accueillants.
   Le temps passant sait nous faire prendre conscience du temps qui passe et, si le cerveau refuse d'en faire le constat, le corps sait faire entendre les sons du déclin. Cela se fit de façon pernicieuse, quelques douleurs dorsales se firent sentir, mais la réponse la mieux adaptée était encore le mouvement, justifiant plus encore ce besoin de grimper dans les arbres, voire d'escalader les côtes rocheuses de notre chère Bretagne.
   Mais il était déjà entendu que le déclin ne laisserait pas de place aux envies de hauteur, la première alerte n'ayant pas suffit, il y eut un deuxième obstacle, imposé par le cerveau lui-même, la perte du sens de l'équilibre si essentiel à la grimpette. Même ses amis les arbres semblaient refuser de le sécuriser, victime qu'il était de ces troubles ressemblant à une ivresse qui ne dirait pas son nom. Alors il fallut reconquérir ce sens essentiel à l'essence de notre personnage, retrouver une vie équilibrée pour assurer sa survie.
   En fait, l'escalade était encore possible mais avec la sagesse d'un vieux singe, sans faire de grimaces, il fallut que notre homme apprenne la lenteur, à réfléchir mûrement chacun de ses gestes avant que de pouvoir agir. Sans aller jusqu'à la méditation, il dut faire preuve de réflexion avant de reprendre les flexions. Quelques proprioceptions plus tard ce fut chose faite, mais l'équilibre retrouvé dans la sagesse du vieillissement prématuré concerne bien plus que quelques gesticulations arboricoles, il touche toutes les actions de la vie.
   C'est donc empli de sagesse que notre protagoniste a décidé de continuer à prendre de la hauteur, afin d'élargir les champs de visions, de toutes les visions de ces vies si riches parce que différentes qui constituent le socle de notre société. Il faut de tout pour faire un monde, il ne nous manque plus qu'un peu d'optimisme pour que nous puissions tous, enfin, prendre de la hauteur afin de devenir aussi sages que le vieux singe!

mercredi 2 octobre 2019

Le prince de la pince.

   Il est ici question d'un homme un peu particulier, très taciturne d'apparence, mais avec un peu de patience il est possible de le rencontrer plus avant. Il est un travailleur, immigré d'un pays d'Afrique dont il se refuse à citer le nom, " je ne suis qu'un Africain" se plait-il à dire, mais sans le moindre humour. Il a réussi à s'intégrer par le travail et la discrétion arguant que s'il ne fait pas de bruit personne ne le verra, une stratégie qui semble efficace comme nous allons en faire le constat.
   Le seul emploi qu'il ait trouvé est à l'entretien de l'extérieur d'une grande surface, toute la journée il ramasse les papiers que les clients jettent négligemment par terre, parfois juste à côté d'une poubelle. Ces gens là, à n'en pas douter, sont ceux qui ne voient pas cet homme, ils semblent penser que les papiers gras et, surtout, les emballages plastiques se ramassent tout seuls. En attendant, ils passent à côté de cette personne qui n'est personne sans lui accorder la moindre attention, ne pas saluer étant une normalité malouine, ils ne savent pas dire bonjour!
   Mais notre homme ne s'en offusque pas, il trouve normal de n'être pas visible, son métier le place en bas de l'échelle sociale. Alors, stoïque, il manie cette pince qui lui permet de ne pas se baisser, tel un escrimeur il la manie avec dextérité, ses gestes sont amples déposant ces déchets dans la poubelle, toujours souriant comme s'il exerçait la plus belle profession du monde. Il faut dire que c'est une vérité pour lui, cet emploi est la porte ouverte à une intégration réussie, à l'obtention de la nationalité française et d'un logement, c'est ce qui le rend si philosophe quant au déni d'existence que lui imposent certains d'entre nous.
   Cependant, à force de converser avec lui, j'ai découvert un homme cultivé qui aime passionnément la lecture, surtout les grands classiques et cela se remarque très vite tant il s'exprime bien, dans un français que peuvent lui envier beaucoup de ceux qui le toisent. C'est ainsi qu'il a gagné ce surnom, prince de la pince, il lui trouve même un air de noblesse et cela le réjouit.
   Voilà, la conclusion lui revient dans ses propres mots: "peu me chaut l'indifférence des autres tant que je peux être moi-même, tu m'as fait prince, tu es donc le roi!".