mercredi 2 octobre 2019

Le prince de la pince.

   Il est ici question d'un homme un peu particulier, très taciturne d'apparence, mais avec un peu de patience il est possible de le rencontrer plus avant. Il est un travailleur, immigré d'un pays d'Afrique dont il se refuse à citer le nom, " je ne suis qu'un Africain" se plait-il à dire, mais sans le moindre humour. Il a réussi à s'intégrer par le travail et la discrétion arguant que s'il ne fait pas de bruit personne ne le verra, une stratégie qui semble efficace comme nous allons en faire le constat.
   Le seul emploi qu'il ait trouvé est à l'entretien de l'extérieur d'une grande surface, toute la journée il ramasse les papiers que les clients jettent négligemment par terre, parfois juste à côté d'une poubelle. Ces gens là, à n'en pas douter, sont ceux qui ne voient pas cet homme, ils semblent penser que les papiers gras et, surtout, les emballages plastiques se ramassent tout seuls. En attendant, ils passent à côté de cette personne qui n'est personne sans lui accorder la moindre attention, ne pas saluer étant une normalité malouine, ils ne savent pas dire bonjour!
   Mais notre homme ne s'en offusque pas, il trouve normal de n'être pas visible, son métier le place en bas de l'échelle sociale. Alors, stoïque, il manie cette pince qui lui permet de ne pas se baisser, tel un escrimeur il la manie avec dextérité, ses gestes sont amples déposant ces déchets dans la poubelle, toujours souriant comme s'il exerçait la plus belle profession du monde. Il faut dire que c'est une vérité pour lui, cet emploi est la porte ouverte à une intégration réussie, à l'obtention de la nationalité française et d'un logement, c'est ce qui le rend si philosophe quant au déni d'existence que lui imposent certains d'entre nous.
   Cependant, à force de converser avec lui, j'ai découvert un homme cultivé qui aime passionnément la lecture, surtout les grands classiques et cela se remarque très vite tant il s'exprime bien, dans un français que peuvent lui envier beaucoup de ceux qui le toisent. C'est ainsi qu'il a gagné ce surnom, prince de la pince, il lui trouve même un air de noblesse et cela le réjouit.
   Voilà, la conclusion lui revient dans ses propres mots: "peu me chaut l'indifférence des autres tant que je peux être moi-même, tu m'as fait prince, tu es donc le roi!".
 
 

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