lundi 1 juin 2020

Inconstance n'est pas inconcistance.

   Un simple jeu de mots pour titre, c'est pourtant une belle histoire que je veux conter ici, un de ces hasards dont la vie seule sait le pourquoi mais peut-on parler de hasard quand l'inconstance vous revient en mémoire. C'est une boîte de Pandore qui s'est ouverte hier soir par une rencontre inattendue, mais qui arrive au bon moment de cette étrange histoire qu'est ma vie. Mon départ de ce monde qui n'est plus le mien semblait prendre un mauvais départ et voilà qu'une anecdote me rappelle que je n'y ai plus ma place. Ma place est, définitivement, partout mais ailleurs le doute ne m'est plus permit, il faut que je parte, laissant derrière moi un passé qui n'est plus qu'un souvenir.
   C'est justement un souvenir qui me pousse à nouveau vers la découverte du voyage sans but qui m'attend, qui m'appelle de plus en plus fort. Hier soir sont arrivés trois jeunes marcheurs, dont l'un est d'origine Sénégalaise, il vient des îles du Siné Saloum, ce lieu où les bras de mer séparent les villages tout en resserrant les liens entre les habitants du lieu. Mon service militaire m'avait amené vers cet endroit par un drôle de hasard, encore un, c'était un cadeau offert par la marine nationale pour me récompenser de mes grandes qualités de militaire, ne riez pas, c'est une histoire vraie !
   Me voici donc embarqué avec de vrais militaires pour acheminer des canalisations nécessaires à la mise en place de puits d'eau douce, en cet endroit où l'eau retrouve sa vraie valeur de source de vie. Nous sommes traités comme des personnes de grande valeur, accueillis comme des princes par une fête dont seuls les Africains ont le secret, la joie y est patente et communicative. Hébergés par les habitants du lieu, nous avons pris notre petit déjeuner sous les yeux de la famille, toute la famille, jusqu'à ce que la lumière se fasse, ce n'était pas "notre" petit déjeuner mais bel et bien le leur que nous mangions sous leurs regards emprunts d'amour et de respect. Le pire étant qu'il faut tout manger sous peine d'être offensant, j'étais avec l'infirmier du bord, devant lui servir d'aide pour les soins gratuits qu'il venait apporter aux autochtones qui me l'avait expliqué.
   Après ce moment mémorable, malgré la gêne ressentie, nous nous mîmes donc à l'ouvrage et il y avait de quoi faire vu qu'il n'y avait pas même un simple dispensaire. Nous étions devenus les "monsieur docteurs", mais je n'avais pas encore compris qu'au delà du titre c'était une marque d'immense respect qu'ils avaient pour notre rôle. Être considéré comme un bienfaiteur de l'humanité à vingt ans est un moment inoubliable, je l'avais pourtant relégué au fin fond de ma mémoire comme un vieux souvenir empoussiéré, la vie a su le ramener sur le devant de ma scène, plus de trente ans après !!!
   Il aura suffi de la rencontre avec ce jeune sénégalais, trop jeune pour m'avoir connu au moment des faits. C'est au cours d'une simple conversation où je me rappelais les lieux grâce à lui qu'a surgi cette magie si propre à l'Afrique. Lorsque je fis mention des faits précités, son regard s'éclaira et il m'appela Benny, le nom dont m'avait affublé mes amis marins parce que je ressemblais à Benny Hill avec le bonnet de marin. Imaginez ma surprise d'apprendre que mon nom était encore cité dans ces anecdotes dont les vieux Africains ont le secret, le regard emprunt de magie du jeune homme rajoutait à mon ébahissement.
   Je suis devenu le héros d'un conte africain, en compagnie de mon "monsieur docteur" nous hantons encore les soirées du lieu, ce n'est plus de la simple magie mais bel et bien une légende ! Le jeune homme originaire de ces îles isolées entrepris alors de raconter l'anecdote à ses deux amis présents, me faisant passer à leurs yeux pour un sauveur de vies, apportant soins et sourires en même temps puisque mes farces servaient d'anesthésiant pour ces enfants blessés que nous devions soigner à vif. Je me suis redécouvert en leur compagnie, je ne connaissais plus cette facette de ma personnalité, l'ayant mise sous l'éteignoir de ma vie, elle est pourtant bien réelle et ne m'a, peut-être, jamais quitté mais je me la refusais. 
   Voilà, je ne veux pas m'étendre plus sur cette anecdote, elle n'appartient qu'à moi, mais il me faut y voir un clin d'œil du destin, je sais maintenant pourquoi je dois aller finir mes jours sur ce continent, c'est là qu'est ma vraie vie, c'est là que je suis le vrai Alain, même déguisé sous le sobriquet de Benny.
Alors je vais partir là-bas et je laisserai le destin seul décider de mon cheminement, aidé qu'il sera par cette magie africaine qui semble m'y protéger de tout ennui et, surtout, de ce moi qui n'est pas Moi.