vendredi 29 novembre 2013

J'avais six ans.

   C'était l'été, les grandes vacances, nous étions chez nos grands parents maternels, comme une année sur deux. C'étaient de vraies tranches de liberté, dégagés de l'autorité parentale, à peine compensée par nos grands parents qui nous laissaient une grande marge de manœuvre, occupés qu'ils étaient par leur travail de boucher-charcutiers. Ils ne pouvaient nous surveiller autant que l'auraient exigé nos trépidantes et turbulentes journées.
   Nous passions notre temps avec les copains, randonnées campagnardes, jeux de guerre dans les bois, courses échevelées à travers champs, courir après les vaches, les moutons, devant les chiens ou les paysans irascibles! Nous rentrions harassés mais heureux, comme seuls des enfants savent l'être. Mais cela ne dure pas et il arrive le moment ou l'ennui reste présent jusque dans les jeux.
   C'est au cours de l'une de ces périodes que je décidais qu'il me fallait trouver un métier pour "quand je serai grand".
   Je commençais par vouloir être agriculteur, deuxième métier de mon cher grand père. Je l'accompagnais dans la petite ferme qu'il possédait avec des bœufs en pâture libre, cela lui permettait de garantir la qualité de sa viande. Pour les urbains qui me liraient, la pâture libre est un type d'élevage, les animaux paissent à leur rythme, dans les prairies qui leur sont assignées, on leur donne du foin et de l'ensilage d'herbe pendant la saison froide, ce qui permet de ne pas être astreint à une surveillance et un travail de tous les instants. Or donc, disais-je, revenant à nos moutons qui, pour l'heure, sont des bœufs, je voulais être agriculteur. Conduire le tracteur, nourrir les bêtes, les caresser parfois, leur parler de temps en temps, jurer comme un charretier souvent! J'allais ramasser le foin en compagnie d'autres agriculteurs, j'étais l'un d'entre eux du haut de mes six ans, ils me respectaient au sens vrai du terme. Quels souvenirs puissants, j'avais du foin jusque dans le slip, mais j'étais un agriculteur!
   Ensuite, je me tournais vers la charcuterie, aidant mon grand père dans la fabrication des pâtés, saucisses et, surtout, du fabuleux saucisson à l'ail du père Jules! J'étais plein de gras, de la chair à saucisses crue entre les dents, je sentais la fumée mais j'étais charcutier! La force des grands moments passés dans cet exigu laboratoire restera gravée à jamais dans ma mémoire. Le plus drôle de cette anecdote est que c'est mon grand frère qui est, aujourd'hui, charcutier et, lui aussi, il maîtrise très bien la fabrication du saucisson à l'ail, bon sang ne saurait mentir!
   C'est alors que le hasard nous permit de rencontrer le boulanger du village et qu'il nous fit visiter son fournil. Pendant la visite, alors qu'il nous expliquait qu'il lui fallait commencer très tôt sa fournée, je lui demandais si je pouvais me joindre à lui, le lendemain à quatre heures. Il accepta en riant, me disant que, si je parvenais à me réveiller, je serai le bienvenu. Et, le lendemain, à quatre heures, je frappais à la porte du fournil! La tête que fit le boulanger est indescriptible tant fut grand son ébahissement, après un éclat de rire, il me fit entrer. Là, quelle joie, je fus mis au travail, mettre la pâte dans le pétrin, rouler les baguettes, les mettre au froid avant qu'elles ne soient enfournées. Au moment où elles sont sorties du four, voir ces pains auxquels j'ai apporté ma patte, dans lesquels un peu de ma sueur avait perlée, quel sentiment de grandeur pour le petit bout que j'étais. Ensuite, pas le temps de s'extasier, il fallait lancer les autres pains, la pâte dans le pétrin, les modeler... J'étais couvert de farine, j'étais fatigué, mais j'étais un boulanger!
   Ce fut vers sept heures du matin que ma carrière pris fin, lorsque ma grand mère, que j'avais omis de prévenir, est arrivée en panique à la boulangerie, me cherchant. Lorsqu'elle sut la vérité, son soulagement se transforma en l'un de ses sourires bienveillants et je pus rentrer à la boucherie avec Mon pain sous le bras!
   J'avais six ans, un peu plus, un peu moins, des rêves plein la tête, mais je n'ai embrassé aucun de ces trois métiers. C'est la vie, je n'ai aucun regret, je n'ai que ces souvenirs...mais quels souvenirs!

mercredi 20 novembre 2013

Elixir de jeunesse.

   Je vais, prochainement, devoir fêter mon anniversaire, seulement je ne suis pas sûr de vouloir célébrer mon vieillissement. Je dois avouer mon échec dans la recherche de l'élixir qui m'eut permis de demeurer éternellement jeune.
   J'ai, pourtant, passé des heures dans mon laboratoire secret d'alchimiste, mais rien à faire, j'ai mélangé toutes sortes d'ingrédients, allant jusqu'à rajouter un soupçon de crème Nivea! Toute cette succession d'échecs me laissait perplexe, accentuant, par la même, les rides de mon juvénile front!
   Il me fallut réorienter mes recherches, c'est alors que je me suis rendu compte que la solution était là, sous mes yeux éberlués, que je frottais, plusieurs fois, du revers de la main. Il suffisait d'y penser, que dis-je, d'y réfléchir, hmmm, longuement, en se frottant le menton et le regard dans le vague, que je commençais à avoir à l'âme. A propos de l'âme, il faudrait que je pense à me raser, soit dit en passant, du coq à l'âne , me dis-je et me répétais-je tout en me frottant le menton sans y réfléchir, puisque je voulais penser, car, à trop réfléchir, on peut finir en miroir, celui devant le quel je me trouve, pour me raser.
   Or, donc, je me trouvais par ci-devant la réponse qui était une énigme, avant que de se dévoiler aussi impudiquement que je ne pus en détourner le regard, j'étais si captivé que je paraissais hypnotisé. Je refis les calculs, je refis le point, la virgule aussi par ailleurs, par voie de conséquence je refis le point-virgule point d'exclamation, euh, !, voulais je dire.
   Les bras m'en sont tombés, à tel point, que j'ai dû consulter un chirurgien, qui, à peine mon opération terminée, apprenant le terrible secret de la non éternité de l'homme, en a perdu les siens, mais comme c'était lui le chirurgien, je l'ai laissé tomber. Je crains de dévoiler la terrible vérité, certains pourraient ne pas s'en remettre, j'ai peur de détruire le rêve de milliers de gens, mais je ne puis conserver par devers moi ce qui m'a été donné par la providence, voire Plus?!
   Car voyez vous, quoique l'on fasse, quand bien même un humain trouverait la réponse de la jeunesse éternelle, les ans passent et s'accumulent, le compte de ce temps est amoureusement tenu par nos plus proches, nous empêchant de ne point vieillir, donc, même avec une apparence jeune, l'âge sera toujours plus grand.
  

samedi 16 novembre 2013

Savoir vivre.

   Il y a quelques années, j'étais encore jeune et beau, j'ai rencontré une jeune fille de bonne famille. Elle est tombée amoureuse de moi, je n'étais pas certain de mes sentiments, mais je décidais de respecter ses sentiments, pensant qu'un jour, peut-être, je serai touché par la grâce.
   Me voici donc introduit (non, définitivement, non!!!) en ce milieu grand bourgeois qui confine tant au snobisme, sa mère étant un chantre de la bonne éducation. D'ailleurs, elle a très vite senti que, si j'étais courtois, il y avait de grandes lacunes dans mes façons d'agir, je fus donc mis sous haute surveillance!
   La première épreuve fut le repas auquel me convia ma charmante énamourée, c'était le souper, ce repas du soir que nous autres, gens du peuple, appelons dîner. Le ton fut donné dès la mise en place des convives, je me retrouvais entre la maîtresse de maison et une grande sœur de mon amie, elle, évidemment, était assise au point le plus éloigné de moi, j'aurais dû sentir le piège! Mais, ma bonne humeur, mon optimisme et ma naïveté naturelle ne me permirent pas d'appréhender les esprits retors de ces gens de la haute société.
   Je dois, tout d'abord, vous préciser que, m'étant subrepticement glissé aux toilettes, j'avais pris soin de m'enfoncer un manche à balai dans le fondement afin d'être sûr de me tenir si droit que j'eusse fait pâlir de jalousie le plus emmanché des majordomes! Ma tenue était donc parfaite, pour les autres détails, je me sentais prêt à toutes les improvisations.
   La première épreuve fut d'affronter le nombre absolument insensé de couverts, plutôt que me ridiculiser, j'optais pour une observation attentive des autres convives. Bien m'en pris car cela m'obligea à attendre que quelqu'un se décide, donc à ne pas entamer mon plat aussitôt celui-ci servi. Il faut savoir que dans ces milieux privilégiés, nul ne peut commencer à manger tant que tout le monde n'est pas servi, ce qui, en d'autres temps était de bon aloi, ne devrait plus avoir cours lorsque, comme ces gens, il n'y a plus assez de serviteurs pour que tout le monde dispose d'une assiette en même temps. Là, les premiers servis sont condamnés à manger tiède, voir froid, mais peu importe, il convient de savoir faire preuve de retenue.
   Ayant subi la première épreuve avec un grognement de satisfaction quelque peu frustrée de la part de ma marâtre, je me sentais plus libre de mes mouvements. Une fois dégusté le consommé de champignons des champs, car on ne mange pas de soupe chez ces gens là, arriva le poisson, plat le plus périlleux qui soit!Cela semble être le concours de celle ou celui qui en laissera le plus, interdiction absolue de même faire semblant d'approcher les doigts!
   Bon, je réussis, malgré une surveillance de tous les instants, à sauver les apparences. C'est à ce moment là que les événements se sont corsés, à la fin du repas, il m'a fallu accompagner les autres mâles de la confrérie au petit salon afin d'y boire le café en fumant un cigare et en conversant sereinement des milliers de francs que ces pompeux personnages manient comme nous le ferions des centimes!
   Les servantes ne sont jamais remerciées, sauf en cas de licenciement, bien sûr! Tout est dû pour ces viles personnes et je n'ai pas eu mon mot à dire, heuresement, d'ailleurs!
   Voilà, ma charmante compagne du moment fut très heureuse de m'apprendre, quelques jours plus tard que ses parents avaient été agréablement surpris de mon savoir-vivre, ce qui déclencha la rupture de nos relations.
   J'ai toujours préféré savoir vivre librement qu'exprimer un savoir-vivre aliénant!
  

mercredi 13 novembre 2013

Le soleil se couche.

   J'ai toujours pensé que l'automne était la saison des couleurs magnifiées, il est un moment de la journée qui en est le plus bel exemple, c'est le coucher du soleil. Surtout que la saison est propice aux cieux ennuagés, cela devient donc d'autant plus rare d'y assister que c'est un privilège. J'ai la chance de travailler sur une hauteur, en la belle cité de Cancale, lieu propice à l'admiration et à l'émerveillement, j'aperçois la Manche et la pointe du Grouin qui offrent déjà une vue magnifique en journée.
   Mais, lorsque nous arrivons à cette heure que l'on situe entre chien et loup, le ciel s'embrase et éclaire ce spectacle de ses feux. Je pourrai faire des photos et en emplir cette page, mais seul un peintre de grande classe saurait nous faire voir les couleurs telles qu'elles apparaissent aux chanceux qui ont levé les yeux à ce moment.
   Alors, je "prends ma plume" pour tenter de vous faire partager ce qui m'a été offert par nul autre que le dieu soleil. Ce sont les nuages qui, les premiers, ont mis le feu aux poudres, ils se sont allumés de mille feux, faisant apparaître les nuances de ton jusque là invisibles. Certains semblaient être des petits soleils dans les cieux, tandis que d'autres apparaissaient dans une lumineuse noirceur. Il en était qui se sont recouverts d'un rose teinté d'orange, en longues traînées qui les faisaient  ressembler à de fines dentelles, le tout sur un fond de bleu sombre qui permettait à ces sublimes créations de la nature d'exprimer toute leur splendeur.
   Les arbres, qui, peu à peu, prennent leurs couleurs automnales, ont été embrasés par ce feu d'artifice céleste, les feuillages magnifiés se découpaient comme s'ils eussent été surnaturels. Les rouges se mêlant aux verts, nuancés de jaunes et d'oranges, c'était une véritable palette de peintre, comme si Dieu lui même se décidait à peindre un tableau et que la nature lui prêtait ses couleurs.
   Puis, le soleil, dans un dernier éclat orange de sa sphère enfin visible, s'enfonça totalement dans les eaux de la Manche, éteignant le feu. Je n'ai toujours pas pu capter ce mythique rayon vert, mais je n'ai aucun regret tant le spectacle de ce jour fut grandiose.
   Je veux, par ce texte, dire merci à la Bretagne de vivre chez elle car, s'il est maints autres lieux où le soleil offre de tels chatoiements, je sais que c'est la pureté de notre air qui permet de telles visions d'un bonheur tellement simple qu'il en devient divin.

lundi 11 novembre 2013

Chevaliers.

   Plus qu'une simple dénomination, c'est une façon d'être, un véritable sacerdoce car si c'est à cheval que se tient le chevalier, il ne peut pas, pour autant, être cavalier. C'est une personne, femme ou homme, au service d'autrui, il se doit de toujours inspirer le respect dont il bénéficie. Pourfendeur de l'injustice, ardent défenseur de la vraie foi, protecteur des faibles, voilà ce qu'est le chevalier.
   Mais il convient de ne point confondre, les paladins du temps jadis n'ont plus cours, ils ont été remplacés par les tenants du pouvoir, les chevaliers d'industrie, les preux hommes politiques et les incontournables champions du "donner de leçons" que sont les analystes du tout et du rien. Ils ne revêtent plus d'armure et n'ont que leurs langues acérées pour épée, ils se perdent en vaines promesses et autres miroirs aux alouettes, mais restent convaincus du bien fondé de leurs actions. S'ils ont conservé la foi, ce n'est qu'en eux même!
   Alors, d'autres se sont dressés contre les inégalités et injures dont sont victimes les peuples, mais ceux là ont omis que la chevalerie est soumise à un code. Ils ne sont que des aigrefins, des utopistes écervelés et ne font que s'attaquer aux moulins, à l'instar de Don Quichotte. Ils sont les éoliennes de la pensée, ils brassent beaucoup d'air, mais ne sont que peu productifs.
   Il ne nous reste plus qu'à devenir nous même des chevaliers, chacun se doit de revêtir son armure, prendre son épée et partir lutter contre l'iniquité de notre société. Il nous faudra être forts et n'avoir pas peur de la mort, ne fût elle que sociale, si nous voulons être honorés par nos héritiers, si nous voulons leur laisser une terre telle que nous avons pu la désirer dans l'utopie de nos adolescences passées.
   Un monde meilleur ne saurait se bâtir à coups de renoncements, nous avons assez fui, sortons de ces cocons que nous prenons pour des châteaux forts quand ils ne sont que des maisons de papier. Enfourchons nos destriers et allons chasser les marchands du temple, tous ces mercantiles promoteurs d'un toujours plus qui a atteint ses limites depuis bien longtemps.
   Certes, nos épées sont en carton, nos armures en papier mâché et nos destriers de simples baudets, mais si nous les brandissons, portons et montons avec la conviction vraie du chevalier, qui sait qu'il œuvre pour une juste cause, la victoire sera notre.
   "Tu effaceras ce que tu as écris jusqu'à présent sur le cahier de ta vie : inquiétude, manque d'assurance, mensonge. A la place, tu écriras le mot courage. En commençant le voyage avec ce mot et en le poursuivant avec la foi en Dieu, tu arriveras là où tu dois arriver." ( Bréviaire de la chevalerie médiévale).