lundi 18 juin 2018

Les arbres sont des humains qui s'ignorent.

   J'ai toujours ressenti une grande attirance pour ces majestueux représentants de la vie dans ce qu'elle a de plus inaccessible pour l'humain, la longévité. Je pensais n'avoir que le respect de leur grand âge mais les épisodes paysagistes de ma vie m'ont ouvert les yeux sur d'autres motifs, beaucoup plus forts.
   Cela a commencé de façon anodine, comme par instinct, je me suis très vite rendu compte que je parlais aux plantes sur lesquelles j'intervenais. Si j'ai continué, c'est que j'avais le sentiment d'un retour, de la part des arbres plus particulièrement. Comme je m'étais beaucoup intéressé à la culture amérindienne durant mon enfance, j'adoptais leurs coutumes d'expliquer à une plante les raisons de mon intervention.
   Au fil du temps, j'ai noué une relation amicale avec les arbres, ils m'ont accepté comme ami et c'est un grand privilège à mes yeux. Avoir gagné le respect des êtres les plus vénérables de cette terre est l'une de mes plus grandes fiertés, mais ne voyez point d'orgueil où il ne peut être question que d'humilité.
   Car pour qu'un arbre accepte de vous laisser y grimper, harnaché, la tronçonneuse à la hanche, il faut d'abord bien l'observer, afin de voir où l'on peut poser les pieds sans heurts, pour lui comme pour nous puisque nous sommes liés. C'est par l'attention qu'on lui porte que l'on pousse l'arbre à nous prendre dans ses bras, et c'est pleinement rassuré que l'on peut l'embellir et le soigner par quelques tailles appropriées.
   Ce sont les arbres les plus expérimentés qui m'ont appris à encaisser les coups sans se laisser abattre, à survivre aux plus graves blessures en les ignorant, voire en les contournant. Ils m'ont beaucoup plus apporté que je ne saurai jamais leur ôter!
   D'ailleurs, il m'aura fallu la maladie pour apprendre à les écouter vraiment, le bruit de la tronçonneuse s'étant éteint, il n'est plus que le souffle du vent pour interrompre nos échanges qui, pour lors, sont devenus fructueux.
   La rencontre avec un chêne pluricentenaire a été le déclencheur, par son tronc noueux il m'invitait à venir me jeter dans ses bras. Il a élu domicile à l'embouchure de la Rance, offrant à nos yeux ébahis un spectacle grandiose, les chênes ne sont pas tous des glands!
   Par un léger mouvement de ses branches, il me fit prendre conscience de sa situation, la côte ayant subi l'érosion s'est dangereusement rapprochée de ses racines et c'est au bord du gouffre qu'il se retrouve, au sens propre!
   Il répondit à mes inquiétudes en me dévoilant son système racinaire parfaitement adapté à la situation, bien que considéré comme inapproprié par la biologie, il est approprié à la survie! Les racines qui devraient être mises à nu par l'érosion se sont détournées afin d'aller chercher l'ancrage dans la terre ferme.
   Il a suffisamment d'expérience pour savoir que l'éternité n'est pas de ce monde, ainsi chaque tempête passée lui est une victoire, il est heureux!
   Rassuré, je me suis installé plus confortablement afin de mieux profiter du murmure des feuilles qui, pour discrètes qu'elles soient, n'en sont pas moins d'incorrigibles bavardes. C'est un léger souffle de vent qui me permit de les mieux entendre.
   Elles parlaient de cet humus nourricier dont elles tirent la vie, cette richesse composée d'êtres vivants en décomposition puisque ayant quitté la vie. Tous les êtres vivants, nos ancêtres y compris, ce qui fait qu'en chaque arbre sommeille un aïeul au moins!
   Le bruissement des feuilles serait donc dû aux chuchotements des voix éteintes, c'est pour ça que nous y sommes si sensibles.

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