jeudi 17 mai 2018

Le vieil homme.

   C'était par une de ces belles journées que le printemps sait si bien éveiller, j'en profitais pour faire une promenade côtière afin de profiter de la magie des lumières printanières. Passant par un long quai jalonné de bancs, habituellement vides à cette heure de la journée, là, la générosité du soleil les avait transformés en jardinières où auraient poussé des êtres humains!
   Il n'en était plus qu'un où je pouvais m'asseoir, il y avait une seule personne, un homme qui semblait très âgé, son magnifique sourire lorsque je le saluais me poussa plus qu'il m'invita à prendre place auprès de lui.
   Nous nous débarrassions très vite des habituelles billevesées météorologiques ou sociétales, comme si nous savions déjà qu'il y avait autre chose, je n'avais qu'un pressentiment, il avait une certitude!
   Je sus très rapidement  son prénom, André, et son âge, quatre-vingts ans, il me dit qu'il fait cette promenade tous les jours dans l'attente de rejoindre son épouse partie il y a bientôt cinq ans. Il n'est pas dans ses habitudes de parler ainsi, me dit-il, mais ma démarche et, plus encore, ma voix lui avaient trop rappelé son fils décédé de maladie il y a dix-sept ans de cela, il aurait à peu-près le même âge que moi, la "cinquantaine bien assise"!
   Il n'y avait aucune apparence de nostalgie malsaine dans sa démarche, il était juste curieux de savoir comment aurait pu être son fils s'il avait vieilli. Je me prenais au jeu rapidement, surtout grâce à l'humour d'André, très proche du mien et comme il adorait m'entendre rire, ce fut un moment fort agréable.
   La conversation finit cependant par prendre une tournure plus sérieuse et la mort y tint une bonne place, enfin, pas la mort, mais "le manque de savoir-vivre" ainsi que le nomme Pierre Dac. D'avoir "survécu" à deux personnes, qu'il n'avait jamais imaginées plus pressées que lui jusqu'à ce qu'elles soient parties, lui avait permis de retrouver la foi, donc il attend "patiemment son tour, en faisant de petits tours de son actuelle à sa future demeure"!
   Lorsque je mentionnais le risque de l'ennui dont ma grand-mère paternelle m'avait parlé à quatre-vingt-treize ans, en me disant qu'elle ne se sentait plus dans son monde, il eut un sourire épanoui puis  me répondit: "je pense que nous avons un destin et que je ne pourrais m'en aller que lorsque j'aurais accompli mon chemin, quelle qu'en soit la fin j'ai une raison au moins d'être toujours là, si je la trouve, Il me laissera quitter ce lieu. Donc, je ne m'ennuie pas puisque je cherche!"
   Voilà, je ne sais pas si je reverrais André un jour, nous avons décidé de laisser faire le hasard, même s'il fait tous les jours cette promenade, cela ne tiendra donc qu'a mes choix d'itinéraires et j'aimais déjà beaucoup l'endroit.
   Surtout, un doute me gagne, notre conversation en adéquation avec mes problèmes actuels, le bien-être que j'ai ressenti après notre séparation et cette étrange ressemblance avec son fils, serais-je l'objet de sa dernière quête?
 
 

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