mardi 18 juin 2019

L'aveugle aimant.

   C'est une histoire d'amours que je veux conter en ce jour, comme souvent dans ce genre d'histoires, il y a beaucoup d'incompréhensions.
   Il était un enfant ne se posant pas même la question, comme tous les enfants, de savoir s'il était aimé et s'il aimait. Ils étaient ses parents, les lumières de sa vie, qui devaient le guider sur les chemins tortueux du passage de l'enfance à l'âge adulte. Malgré un léger sentiment de n'être pas dans la norme, le passage de l'enfance se fit sans trop d'encombres, il développait ses qualités propres d'esplièglerie et ce pouvoir de faire rire, adultes comme enfants.
   Sa place au centre de la fratrie, entre le premier et le dernier né, n'était pas des plus simples pour se sentir vraiment visible, simplement visible. Ayant très vite compris le pouvoir des mots, que ce soit par l'évasion dans la lecture ou par la communication permise, il plongea avec délice dans les livres. Cependant, même une maîtrise presque parfaite de l'orthographe n'attirait pas les regards attendus, ses qualités semblaient normalité quand sa normalité paraissait défaut. Le sentiment diffus de n'être jamais à sa place se faisait insidieusement jour, jusqu'à se sentir encombrant et masquer certaines qualités "en trop".
   Et c'est ainsi, de plus en plus bridés par l'autorité aveugle d'un père trop violent, que se déroula l'enfance des trois frères. Chacun développa ses armes propres, l'amour aveugle de l'aîné pour le père, l'amour aveugle du dernier pour la mère et la révolte contre tout excès d'autorité injustifié pour le cadet. Refusant le chemin tracé par ce père seul maître à bord, les premiers conflits se faisaient jour, surtout au sujet de la scolarité.
   L'adolescence prit lentement la place de l'enfance, les parents étant devenus horticulteurs, les enfants devinrent très vite de "petits paysans", couverts de terre, des herbes dans les cheveux mais heureux de pouvoir ainsi s'épanouir dans de nouvelles libertés et enfin utiles, vraiment utiles.
   Tout semblait réuni pour qu'enfin chacun se sente à sa place, enfin considéré et vu par ce père tant respecté et aimé. Jusqu'à ce jour maudit, l'ancien commandant de brigade était venu rendre une visite de politesse en famille, seuls les parents étaient présents. Les enfants courant dans les champs, couverts de poussière et de terre ignoraient tout de la situation. Le cadet rentra afin de prendre de l'eau tant ils avaient soif, son arrivée dans la cuisine où se trouvaient les invités fut un grand moment.
Seulement, à la question sur l'identité de cet adolescent tout crotté, la réponse du père se fit déni de paternité et passer de fils à apprenti est un choc à treize ans.
   Aucun membre de la famille ne sembla prendre la mesure du désarroi et de la perplexité ressentis, passant de mal compris à renié dans son esprit le cadet entra en révolte. La guerre devint terrible entre le père et le fils, ayant beaucoup de qualités communes mais plus encore de défauts chacun s'enfonça dans son aveuglement, le conflit devint total. La révolte du fis devint haine du père mais avec, pour but, d'enfin être respecté et aimé pour celui qu'il est vraiment. L'autorité du père devint rejet du fils, l'effacement de ce dernier semblant son seul but.
   Les études lamentablement baclées par un choix qui n'en fut pas libre, la tranchée prenait la forme d'un gouffre entre le père et le fils, chacun s'entêtant dans sa déraison. Le fruit était mûr pour le dernier acte, la séparation de fait et le père dégaina plus vite et plus efficacement que le fils.
   Après une absence de deux mois, rentrant de son école éloignée à la demeure familiale, le père accueilli le fils par un tonitruant :"j'espère que tu n'as pas l'intention de squatter chez moi cet été, il n'est pas question que je te nourrisse". Par chance, le fils trouva un emploi le lendemain et le fit durer jusqu'à l'heure du départ pour l'école afin de ne pas déranger, comme demandé.
   Mais cela ne suffisait pas au père, qui semblait vouloir mettre à terre cet enfant qui avait tant nui à son autoritarisme débile.
   Alors il laissa au surveillant général du lycée le soin d'annoncer au fils qu'il n'était plus un fils, en lui demandant comment il comptait payer ses études puisque le père ne le ferait plus.
   L'histoire aurait dû s'arrêter là mais voilà, le fils continua de se considérer le fils de cet homme qui lui avait clairement signifié son désamour en l'aimant toujours plus aveuglément malgré son évident aveuglement.

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